Ces femmes que l’on pourrait voir : hommage à Cécile Roland-Bouchard (partie 2)

07.03.2025

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Une « Robin des bois » au service de la sécurité alimentaire

Des informations surprenantes dénichées à l’occasion de cette recherche sont pour moi la goutte qui a fait déborder le vase – ceux et celles qui me connaissent diront qu’il est souvent plein lorsqu’il est question de mes sujets de prédilection, mais tout de même : comment se fait-il qu’en tant qu’historienne de l’alimentation québécoise du XXe siècle, je n’avais jamais entendu parler de Cécile Roland-Bouchard ? Simple coup du hasard, silence honteux de l’histoire ou manquement de ma part ? Mme Cécile a pourtant joué un rôle marquant dans la lutte contre les inégalités sociales. Elle s’est distinguée entre autres par son engagement dans la création de plusieurs associations : la section régionale de la Fédération des Femmes du Québec (FFQ), le Centre féminin du Saguenay (1976) et le Centre de bénévolat en 1978 (devenu Centre d’action bénévole Saguenay en 2023). En 1978, le prix honorifique Cécile Roland-Bouchard est décerné à des femmes de la région qui suivent ses traces. Si on a rendu hommage à l’implication sociale et féministe de cette grande dame, comment se fait-il que les mentions de sa participation dans le mouvement de défense des consommateur.ices caractéristique du Québec des années 1960-1970 soient aussi discrètes ? Lorsqu’il est question de l’histoire de l’alimentation québécoise, pourquoi son nom ne résonne-t-il pas autant que ceux de Jehane Benoit ou de Sœur Angèle ? Et avant de soulever l’indignation générale, je revendique ici mes origines charlevoisiennes du côté maternel pour m’exprimer en ces termes : non mais on fait-tu simple ?

Nommée vice-présidente du Conseil de la protection du consommateur à la suggestion de Thérèse Casgrain, féministe et politicienne québécoise, Mme Bouchard s’engage en 1971 à défendre les droits de la société civile en matière de consommation (Progrès-dimanche, 19 janvier 1997 : 35). Aux côtés des autres membres du Conseil, elle prend connaissance des 126 articles du règlement sur la consommation et propose une première mouture de la Loi sur la protection du consommateur, adoptée par le gouvernement la même année. Durant son mandat de 3 ans, elle prononce plus de 116 conférences et recueille les recommandations des habitant.es du Saguenay-Lac-Saint-Jean (et même de la Côte-Nord) pour que leurs enjeux et leur voix soient considérés dans la deuxième version de la loi, ratifiée quelques années plus tard (Le quotidien du SLSJ, 22 octobre 1974 : 8).

 

 

Lors d’une conférence sur la consommation dispensée dans le cadre de la Semaine sur la famille, elle s’indigne du processus de sélection des plaintes qualifiées de recevables, qu’elle juge inadéquat et très peu représentatif du mécontentement populaire (Le Soleil, SLSJ, 19 mai 1973 : 3). Ses protestations ne semblent pas étonner la presse, qui qualifie notre héroïne de femme d’action au « verbe très facile » et encline à se prononcer dans les assemblées – elle-même l’admet :

« Je ne cède pas aussi facilement quand j’ai raison. Surtout, je n’accepte pas des arguments qui ne tiennent pas debout » (Le Soleil, SLSJ, 7 septembre 1971 : 3).

Un petit côté piquant au service de la justice, Mme Cécile ? Animée par une forte conscience sociale, elle se préoccupe des enjeux de sécurité alimentaire et participe à l’organisation d’un Colloque des consommateurs sur la viande à Jonquière. L’objectif est d’informer le public sur la fluctuation des prix et les nouvelles lois sur l’étiquetage, ainsi que de sensibiliser la population à acheter de manière à se prémunir contre la consommation de viande de mauvaise qualité. À cette initiative, je propose que nous levions notre prochain verre de bouillon !

 

 

Fervente protectrice de ses semblables et de l’opinion publique, Mme Bouchard fait d’ailleurs pression pour que soit créé un bureau régional de l’Office pour le Saguenay-Lac-Saint Jean, troisième région du Québec à enregistrer le plus de plaintes de consommateurs et dont le nombre de demandes d’aide s’avère alarmant (Le quotidien du SLSJ, 22 octobre 1974 : 8). Celle qui hier revalorisait les savoirs culinaires et les produits de sa région d’adoption protège désormais le panier d’épicerie et l’assiette de ses habitant.es, dont la plupart sont issu.es d’un milieu modeste. Je terminerai cette section en laissant la parole à notre héroïne. Peu avant son décès, en 1997, elle résume son parcours engagé – ce n’est pas moi qui le dit – dans une entrevue réalisée par le journaliste Daniel Côté :

« Il y avait une sorte de réveil, à l’époque, un mouvement qui touchait des domaines aussi différents que la santé mentale, le féminisme ou la protection des consommateurs et auxquels j’ai été heureuse de m’associer. J’adorais la vie à la maison, mais à un moment donné, ça me prenait plus que ça et je l’ai trouvé » (Progrès-dimanche, 19 janvier 1997 : 35).

Conclusion

Mme Cécile, elle a le sang « bleu-et » et les qualités de la meilleure tourtière : réconfortante et croustillante de caractère, patiente et protectrice, elle incarne le sens de la communauté, du partage et de l’authenticité. S’il n’en tenait qu’à moi, Mme Cécile, je vous offrirais une résidence sur l’avenue principale de la gastronomie québécoise. Elle serait dotée d’une immense vitrine donnant sur un comptoir de restaurant. Au-dessus, il y aurait une enseigne « Ces femmes que l’on peut voir ». Si j’espère avoir été l’architecte d’un plan de fondation inspirant, c’est vous, lecteur.ices, qui érigerez les murs de sa demeure en lisant, en partageant et en cuisinant son histoire – ou peut-être sa recette de pâté à la langue de veau.

 

Fervent de contenu historique ? 

Lire notre série d’articles sur la tourtière du Saguenay-Lac-Saint-Jean

Un article signé par Florence Gagnon-Brouillet, historienne de l’alimentation

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