Distillerie du fjord : du gin dans les veines depuis 5 générations

20.08.2021
Mélangez un peu de patrimoine, ajoutez une pincée de plantes de la forêt boréale et une bonne cuillérée d’intérêt pour la chimie… Voilà la recette qui a mené à la création de la Distillerie du Fjord.

« Avec mon grand frère qui est chimiste, mon père qui est ingénieur à la retraite et notre intérêt commun pour l’univers de la distillation et des spiritueux, les morceaux du casse-tête se sont emboîtés », raconte Jean-Philippe Bouchard. L’entrepreneur avait par ailleurs déjà fait un plan d’affaires dans le cadre d’un cours à la maîtrise en gestion des organisations. Il était prêt! Il faut dire que chez les Bouchard, l’intérêt pour le gin remonte à quelques siècles. Les aïeux avaient en quelque sorte pavé la voie, en développant un savoir-faire de distillateur… malgré la prohibition. En remontant cinq générations, la distillerie fait découvrir Joseph, l’arrière-arrière-grand-père, un amateur de gin; Aurèle, l’arrière-grand-père, un patenteux qui a créé son propre alambic; et Bertrand, le grand-père, qui aimait bien faire de la « baboche » à l’automne.

En 2016, presque un siècle après la fin de la prohibition, c’était au tour des deux fils, Jean-Philippe et Benoît, de proposer à leur père, Serge, d’unir leurs efforts pour faire du gin. C’est alors que les vieux secrets de la famille ont été exposés au grand jour. « Lorsque notre père nous a sorti  , on se doutait que la distillation devait couler dans nos veines », lance Benoît, un dynamique chimiste à lunettes qui est responsable de la distribution. Le patriarche, Serge, un grand mince aux cheveux poivre et sel et au sourire toujours ancré au visage, a de son côté amené son expertise d’ingénieur à la retraite pour s’occuper des procédés et du contrôle de la qualité. Et il y a Jean-Philippe, un grand costaud au regard vif, qui agit en tant que capitaine de l’équipe et chef d’orchestre. Tous les morceaux étaient alors en place pour lancer une distillerie bien plantée dans les contreforts de la grande forêt boréale, à Saint-David-de-Falardeau, au pied des monts Valin, au Saguenay.

Apprivoiser le terroir de la forêt boréale

C’est en 2016 que la Distillerie du Fjord a lancé son premier produit sur le marché, le gin km12, inspiré par la richesse de la forêt boréale québécoise. On y retrouve notamment des bourgeons de sapin baumier, du poivre des dunes, des nards des pinèdes, des feuilles de framboisier sauvage et du myrique baumier. « C’est lors d’une formation sur la microdistillerie à Kelowna, en Colombie-Britannique, qu’un de nos professeurs nous a encouragés à nous inspirer des richesses locales pour développer l’identité de nos produits », souligne Jean-Philippe, 30 ans . Le trio a alors plongé dans l’univers de la chimie des plantes de la forêt boréale, accompagné par un biologiste bien connu de la région, Fabien Girard.

Au lieu d’utiliser de la cardamome, qu’on trouve souvent dans les aromates du gin, les entrepreneurs ont choisi la comptonie voyageuse, qui offre un côté boisé épicé, avec des notes de cannelle et de clou de girofle. « En plus, ça nous permet de valoriser une plante qui est considérée comme une mauvaise herbe dans les bleuetières », indique l’énergique jeune homme.
La découverte des richesses de la forêt boréale s’est poursuivie avec la production de la liqueur Lily, faite à base de thé des bois et de menthe sauvage, qui rappelle la crème de menthe traditionnelle, mais avec un cachet bien boréal. « On a réinventé un classique avec une signature typique », remarque Jean-Philippe. Plus récemment, la Distillerie du Fjord a lancé une deuxième liqueur Lily, cette fois à base de thé du Labrador.

C’est en travaillant sur le gin artisanal 48 Chemin Price que l’équipe de la première microdistillerie de la région a pu exprimer toute sa créativité, en misant sur 48 plantes forestières diverses. « On a poussé le concept au maximum en faisant un gin 100% québécois », atteste l’entrepreneur. Mis à part une partie du genévrier sauvage qui est cueilli sur la Côte-Nord, le gin est pratiquement fait à 100% d’ingrédients du Saguenay–Lac-Saint-Jean. L’entreprise est un acheteur important de produits forestiers non ligneux, car elle consomme plus d’une tonne de pousses de sapin par an et plusieurs centaines de kilogrammes de divers aromates.
Une des grandes particularités de ce gin, c’est que l’alcool de base est produit à partir du bleuet, le fruit emblématique de la région. Malgré plusieurs tentatives pour mettre en valeur le petit fruit bleu dans des alcools par le passé, aucun produit n’avait percé. « Des gens ont fait des vins de bleuet, mais les produits n’étaient pas très convaincants, parce qu’ils s’oxydaient rapidement, soutient Jean-Philippe. La transformation du bleuet en alcool fort ouvre un nouveau terrain de jeu. »

Le 48 Chemin Price est un gin d’exception qui est produit à raison d’à peine 600 bouteilles par mois. « On continue à faire des expériences pour faire triper les amateurs de spiritueux. C’est pourquoi on fait vieillir le 48 Chemin Price dans des barriques, pour voir si on peut en sortir un brandy de bleuet », affirme le trentenaire avant d’ajouter que ce produit sera exclusivement vendu à la boutique de la distillerie. En plus de faire des emplettes, les visiteuses et visiteurs de la distillerie peuvent faire connaissance avec les joyeux entrepreneurs qui ont choisi de mettre les trésors de la forêt boréale en bouteille. C’est une occasion pour découvrir comment sont concoctées les potions tout en apprenant davantage sur le terroir forestier.

Ce savoir-faire ne passe pas inaperçu, car la distillerie a été retenue pour les festivités du 100e anniversaire de la Société des alcools du Québec : le km12, son produit phare, sera commercialisé avec une étiquette à cette effigie. « On est vraiment fiers qu’une distillerie basée à Falardeau réussisse à attirer l’attention comme ça », souligne Jean-Philippe. Cinq ans après le démarrage de l’entreprise, les trois propriétaires se pincent tous les jours, car leur succès est à des années-lumière de leurs prévisions les plus optimistes. « On pensait produire 25 000 bouteilles par année à l’an 3, alors qu’avec les agrandissements qu’on fera prochainement, on va atteindre une production de 250 000 bouteilles par an », conclut-il fièrement. De là-haut, les aïeux Bouchard doivent être fiers!

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