L’argousier prend aujourd’hui sa place dans le menu de certains restaurants et on le goûte à l’occasion dans des bières artisanales. Il en demeure qu’il est encore méconnu et que rare sont ceux qui se spécialisent uniquement dans cette culture rustique. À 74 ans, Viviane Gilbert opère un verger consacré presque exclusivement à ce petit fruit nordique buissonnier et son plus grand plaisir repose sur la démocratisation de ce dernier. Escapade dans la réalité de cette agricultrice dotée d’une curiosité inspirante.
Originaire de Chicoutimi et enseignante au primaire pendant de nombreuses années, Mme Gilbert a fait le saut dans l’aventure agricole quand son mari, fils de producteur, décida de renouer avec ce métier en achetant une ferme laitière avec son frère. Une décision qui la motiva à quitter son milieu urbain pour s’installer sur une terre de 270 acres à Métabetchouan-Lac-à-la-Croix. Elle s’est finalement greffée à ce projet quelques années après son démarrage.
« Je suis passée d’une découverte heureuse à une autre dans ce domaine qui m’était inconnu. Ce sont les valeurs profondes de l’agriculture, les contacts authentiques avec les productrices et producteurs, avec qui nous avons toujours l’heure juste, qui ont fait de moi une véritable passionnée du métier »
Elle a même contribué, à l’époque, à la formation de comités permettant une meilleure reconnaissance des femmes œuvrant en agriculture. À la suite du départ d’un partenaire et avec ses trois garçons qui quittaient le nid familial un à un, la famille décida de vendre le troupeau, puis une portion des terres pour ne conserver qu’une centaine d’acres. À force d’admirer ce vaste terrain, l’entrepreneure en elle refaisait surface.
« Je rêvais d’un modèle différent, qui permet l’épanouissement sans nous contraindre à des tâches obligatoires 7 jours sur 7, 365 jours par année. Un verger me permettait d’assouvir cette ambition ». L’heure de la retraite avait pourtant sonnée pour Viviane et son mari, mais ce dernier s’amuse à dire « qu’elle avait peur de s’ennuyer ».
L’agricultrice rêvait d’y cultiver des olives…oui, oui, comme en Italie ! Inutile de vous dire que les oliviers n’auraient pas apprécié le climat rigoureux du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Un jour, quelqu’un lui envoya un article qui parlait d’argousier, décrit comme l’olivier de Sibérie. Un signe qui tombait pile.
Viviane s’affaira à trouver un maximum d’information sur la culture de l’argousier qui en était, au début des années 2000, à ses balbutiements dans la province. Elle se trouva finalement quelqu’un qui l’aida à commander des plants à racines nues directement de la Russie, qui allaient être livrés par bateau à Terre-Neuve. Les dés étaient jetés, les plants allaient hiverner avant d’être plantés dès l’arrivée de la belle saison pour espérer y récolter des fruits quatre années plus tard. Entre le sarclage, la tonte du verger et les mille et une petites tâches d’entretien, la nature curieuse de Mme Gilbert la pousse à suivre une foule de formation sur cette baie aux nombreuses vertus et sur l’entrepreneuriat. Son rôle de secrétaire à l’Association de l’argousier du Québec lui permet aussi d’être au fait des plus récents travaux lui permettant de mieux apprivoiser et différencier les cultivars.
« On pourrait avoir l’impression que le métier d’agricultrice est un peu statique, mais au contraire, nous sommes en constante évolution à la recherche de nouvelles méthodes et de façons d’améliorer la production. C’est un milieu vrai et dynamique ».
Sa seule routine : mettre de l’argousier dans ses céréales chaque matin, le reste est toujours en mouvance.
À 74 ans, ce n’est pas l’âge qui la freine ! Aujourd’hui, le Domaine Amblay arbore 1500 plants russes et lettons leur donnant plus ou moins 1300 kilogrammes de fruits certifiés biologiques par Québec Vrai. La récolte et le triage s’effectuent en majeure partie à la main pour offrir le produit en format de 5 kg à des transformateurs en tout genre et au format de 300 ou 500 grammes au grand public via ses points de vente, principalement des magasins d’aliments naturels, des épiceries avec une offre spécialisée en bio et via la Coop NORD-Bio qui tient un Éco-Marché virtuel.
« C’est une fierté de voir ce produit sublimé par des transformateurs comme des chefs, des brasseurs et des chocolatiers puisque ça démocratise l’utilisation de ce fruit peu commun. Je suis le début de la chaîne, mais ce qui s’en fait est extraordinaire, j’aimerais un jour développer moi-même un produit. »
En septembre, lorsque le fruit est à point, les excursionnistes sont invités à se rendre sur place pour faire de l’autocueillette. Une expérience unique dans un lieu unique et enchanteur. Effectivement, le verger se trouve en bordure du grand marais de Métabetchouan permettant un contact avec la nature et une tranquillité envoûtante en plus d’offrir un microclimat favorable aux arbres fruitiers. Si elle prend plaisir à informer ses visiteurs sur les particularités de cette culture, elle rêve d’offrir un jour un sentier d’interprétation, voire un économusée.
« Je composerai avec ce que la vie m’apportera au fil des années qui s’écoulent, mais en attendant, j’avance et les projets du futur sont le moteur de mon quotidien. Ma vision : créer un impact humain, un fruit à la fois ».
Ce portrait a été rédigé dans le cadre d’un projet porté par le Syndicat des agricultrices du Saguenay-Lac-Saint-Jean.